Page 272 - La Bourgogne de Lamartine
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excité par un nom magique, et aux sentiments de cupidité que savent si bien exploiter les habiles de la démagogie »1.
Cet état d’esprit s’exprime à travers de multiples réactions immédiates à l’annonce du coup d’État, qui se traduit par la dissolution d’une Assemblée « réactionnaire » et s’accompagne du rétablissement du suffrage universel. À une partie du peuple chalonnais qui, quelques semaines avant le 2 décembre, s’écriait en apprenant le projet d’abrogation de la loi du 31 mai : « Le Président passe aux rouges »2, les mesures annoncées apparaissent comme une confirmation de son point de vue. Le sous-préfet rapporte que les affiches apposées au matin du 3 « ont excité une curiosité bienveillante en général, mais peu expansive [...]. L’attitude des ouvriers et des commerçants était évidemment bonne »3 : même si l’on fait la part d’un optimisme de commande, ce témoignage ne saurait être totalement récusé. L’opposition, dans la soirée et le lendemain matin, sera celle d’une minorité politisée et consciente, vite déconcertée par l’arrestation de ses chefs. De même, dans le bassin houiller de Blanzy, le gérant, Hippolyte Chagot, a persuadé sans difficulté apparente les ouvriers mineurs que les « graves événements qui venaient de s’accomplir à Paris » avaient pour principal résultat une sorte d’anticipation de l’élection présidentielle prévue pour 1852, et « que ce qu’il y avait de mieux à faire était de réélire l’actuel chef de l’État »4 : des principales cités minières qui, le 28 avril 1850, avaient accordé 863 suffrages (60 % des voix) à la liste démocrate socialiste, une vingtaine d’hommes seulement tentent en vain le 6 décembre de marcher sur Givry (et Chalon), et parmi les 18 condamnés de la commission mixte, on ne compte qu’un seul mineur. Dans le Morvan autunois enfin, le carrier Gauthier, envoyé par les démocrates d’Autun, ne parvient à rassembler que 35 habitants des populeuses communes de Roussillon et La Celle, dont certains comprennent qu’on les entraîne vers la ville « pour soutenir Napoléon et la République qu’on voulait trahir » ; arrivés le 5 au matin à Anost, les paysans apprennent d’un conseiller municipal que le suffrage universel est rétabli : « À cette nouvelle, les membres du rassemblement se sont séparés, contents qu’ils étaient de ce rétablissement »5. Comportement en somme très proche de celui de bien des artisans et ouvriers de Blanzy, de Chalon... ou de Paris. Faisant confiance à « Napoléon » tout autant qu’aux militants démocrates, nombre de citoyens de Saône-et-Loire se montrent incapables de comprendre les implications antirépublicaines et conservatrices du coup d’État, et a fortiori de se lever en armes pour défendre une République qu’il ne jugent sans doute pas menacée.
Toutefois, aucun des facteurs d’échec analysés jusqu’ici (action résolue des autorités civiles et militaires, mobilisation d’une partie des hommes d’ordre, abstention ou hésitations de certains chefs républicains, vigueur persistante du mythe napoléonien en pays « rouge ») n’a vraiment fait défaut dans les départements qui ont été le théâtre de
1. Ibid.
2. Rapport du sous-préfet de Chalon, 27 oct. 1851, ADSL, 51 M 39.
3. Id., 3 déc. 1851 à 10 heures du soir, ADSL 51 M 40.
4. Lettre d’Hippolyte Chagot au sous-préfet d’Autun, 4 déc. 1851, ADSL 51 M 40.
5. Interrogatoires de Joseph Fléty, journalier, et de Jean-Baptiste Gauthier, carrier, Commission mixte de Saône-et-Loire, ADSL, série U.
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