Page 274 - La Bourgogne de Lamartine
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subversives étaient si inconsistantes que le parquet n’a même pas engagé de poursuites1. Nulle part ailleurs les activités des « Bons Cousins » n’ont paru suffisamment dangereuses pour attirer l’attention des autorités, même après le 2 décembre.
Celles-ci se sont en revanche beaucoup inquiétées de la création ou de la prise en main par les Montagnards de sociétés de secours mutuels. On ne saurait, à proprement parler, les considérer comme secrètes, puisque leurs statuts, les noms de leurs dirigeants, les listes de leurs membres étaient communiqués à l’administration2. Le 28 octobre 1850, la Société fraternelle de Secours mutuels de Cluny a même décidé que ses séances seraient dorénavant publiques3. Mais, au témoignage d’un des adhérents arrêté après le 2 décembre, elles étaient suivies de réunions secrètes, où l’on cherchait à endoctriner et à enrôler dans les rangs du « parti » les nouveaux venus. Incontestablement, les sociétés mutualistes ont servi de paravent aux activités de propagande et de recrutement des démocrates, et il est symptomatique qu’en aient été pourvues deux des villes les plus agitées, Cluny et Tournus, où leurs dirigeants figurent naturellement parmi les chefs du mouvement. Mais elles n’existaient que dans une minorité de petits centres urbains, et n’étaient pas implantées en milieu rural, où elles n’étaient en rapport qu’avec un ou deux individus par village, tout au plus.
La rareté et l’extrême faiblesse des « sociétés secrètes » en Bourgogne du Sud sont encore confirmées par une participation très réduite au « complot de Lyon », tentative de coordonner leur action dans les départements du Sud-Est.Au témoignage même du procureur général de Lyon4, on n’est parvenu à retrouver en Saône-et-Loire ni comité départemental, ni comités locaux. On n’a réussi à y inculper que deux militants, Joseph Doin, marchand de meules à Chalon, qui a été acquitté, et Paul Maistre, ex-clerc de notaire à Cluny, correspondant d’Alphonse Gent, condamné à cinq ans de détention : rien ne permet évidemment de leur identifier l’ensemble du parti montagnard.
Il paraît donc raisonnable de se rallier, quant à l’organisation de celui-ci, aux conclusions tirées par le procureur général de Dijon, Raoul Duval, de l’immense et minutieuse enquête consécutive au coup d’État : « Il n’a jamais été constaté qu’il existât de ce côté, comme dans la Nièvre, des sociétés secrètes [...] c’est-à-dire des associations purement politiques, ayant leurs formes mystérieuses, leur initiation dramatique et enfin leur serment »5, et aussi, peut-on ajouter, cherchant à enrégimenter la masse de la population, y compris dans les campagnes. Malgré tous leurs efforts, les magistrats instructeurs n’ont d’ailleurs pratiquement jamais pu obtenir, d’hommes pourtant accablés par la défaite, l’aveu de leur affiliation à de telles sociétés6.
1. Id., 10 janvier 1851, ADSL, 51 M 39.
2. Par exemple la liste des membres de celle de Cluny est remise au commissaire de police le 1er nov. 1851,
ADSL, U, Comm. mixte.
3. Décision incluse dans les statuts, ibid. 4.Rapportd’ensembledu31mars1851,p.33-50,Arch.nat.,BB18 1488,etM.Dessal,«Lecomplotde
Lyon et la résistance au coup d’État dans les départements du Sud-Est », 1848, 1951, p. 83-96. 5.Rapportd’ensembledu2février1852,Arch.nat.,BB30 396.
6. Le seul « aveu » explicite que nous ayons rencontré est celui de Jean Borde, manouvrier à Poisson, en
Charolais : Just Pézerat, fils d’un ancien constituant, et son ami Émery Burtin lui auraient proposé, peu avant le 2 décembre, d’adhérer à une société secrète et de prêter serment ; il dit avoir refusé (Comm. mixte,ADSL,U).LesdossierspersonnelsdesvictimesdelaCommission(Arch.nat.,BB30 400)font
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