Page 270 - La Bourgogne de Lamartine
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Chagny le 3 décembre avec une trentaine de cavaliers, et dirigeant lui-même les patrouilles qui parcourent la nuit les rues de la sous-préfecture1. Gendarmes et gardes forestiers, volontiers enclins à assimiler les « rouges » aux malfaiteurs des campagnes, ont montré beaucoup de zèle : le brigadier de Joncy parvient, avec ses quatre hommes, à rétablir dès l’après-midi du 5 les autorités « légales » à Saint-Gengoux abandonné par presque tous les démocrates.
De leur côté, les notables les plus énergiques, depuis longtemps stimulés par une presse qui ne cessait de dénoncer les sinistres projets des « rouges », sont très vite entrés en lice, spontanément ou à l’appel des autorités. À Chalon, dès le soir du 3, « légitimistes et orléanistes, les anciennes sections du parti de l’ordre se sont immédiatement réorganisées, une séance de tous les chefs a eu lieu » en présence du sous-préfet Chambaron qui a pu disposer immédiatement de 50 hommes armés (ils seront 200 un peu plus tard)2. À Tournus, le 4, « 80 bons citoyens » restent en état d’alerte3. À Charolles, le 3 au soir, le sous-préfet s’est rendu avec le maire « au Cercle [...] où se réunit l’élite de la population », il y a donné lecture aux personnes présentes des décrets et des proclamations : « Je fis appel à leur patriotisme et les invitai à tenir leurs armes prêtes » ; une « garde civique » est ainsi formée qui, trois jours plus tard, à l’annonce des troubles de Cluny, patrouille dans les rues « pour intimider les anarchistes » et disperse sans difficulté la petite troupe républicaine venue de Martigny-le-Comte4. À Paray-le-Monial, ville conservatrice, les notables parviennent même à mobiliser leur clientèle populaire, « des ouvriers de tout état, des charpentiers en bateaux, guidés par leurs courageux contremaîtres »5. Des propriétaires ruraux n’hésitent pas à payer de leur personne : Perrault de Jotemps, maire de Curtil-sous-Burnand, ne se contente pas d’empêcher les hommes de Saint-Gengoux de sonner le tocsin dans sa commune : le 5 décembre au soir, il s’installe à la mairie du chef-lieu, « fait battre le rappel pour réunir la garde nationale » et dirige en fait (sans titre) la répression à ses débuts6.
Divisions et hésitations dans le camp républicain contrastent avec cette résolution. Par principe, par crainte des troubles sociaux, par découragement ou par appréciation réaliste du rapport des forces, les leaders modérés déconseillent la résistance armée. Le 5, dans son château de Cormatin, Henri de Lacretelle (ami de Lamartine et futur député radical après 1871), réveillé par le tocsin, est abordé par Stanislas Dismier qui lui propose de prendre la tête de la colonne venue de Saint-Gengoux : « Je lui répondis [...] qu’il fallait sauver la République autrement que par des imprudences généreuses ;
1. Rapport du sous-préfet Chambaron, 3 déc. 1851 à 11 heures du soir, Arch. dép. de Saône-et-Loire (ADSL), 51 M 40 (les documents de ce dépôt sont tous cités avec leurs anciennes cotes, modifiées depuis quelques années) ; letttre du proc. gén. Duval proposant Morcrette pour la Légion d’honneur, 30 déc. 1851,Arch.nat.,BB6 II307.
2. Rapport du sous-préfet, 3 décembre au soir, ADSL, 51 M 40 ; rapport du sous-préfet par intérim, 22 déc. 1851, ibid.
3. Lettre de Bompar, maire adjoint de Tournus, au préfet, 8 déc. 1851, ibid.
4. Rapport du sous-préfet de Charolles, 14 déc. 1851, ibid. ; dans un autre rapport du 25 déc., il évalue à
200 le nombre des “hommes d’ordre” volontaires.
5. Lettre de H. DE SORMAIN, 10 déc. 1851, publiée par La Bourgogne, journal légitimiste de Mâcon, 16 déc.
1851.
6. Lettres au préfet, 7, 8 et 13 déc. 1851, ADSL, 51 M 40.
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