Page 125 - La Bourgogne de Lamartine
P. 125
123
probabilité de manifestations d’irrévérence ou d’hostilité ; après les journées de Février, la statue de saint Bernard, récemment érigée, paraît menacée. Le Courrier a dénoncé « ce fondateur d’ordre, occupé toute sa vie du soin d’étouffer l’esprit philosophique », et on la transfère dans la cathédrale.
La plupart des hommes de la bourgeoisie et du peuple de Dijon sont donc détachés de la pratique et peu religieux et cette attitude est en rapport avec les tendances politiques dominantes.
Celles des notables sont bien connues grâce en particulier aux élections à la Chambre des députés. Les trois cantons urbains formant la première circonscription de Dijon ont ensemble en 1846, 786 électeurs. En août de cette année, le candidat « ministériel » Guillaume Saunac, ancien négociant ultraroyaliste rallié à Louis- Philippe, député sortant, obtient au premier tour 46% des voix ; l’opposant de gauche Jean Hugues Magnin-Philippon, maître de forges, 40,4 % ; le marquis de Saint-Seine, grand propriétaire légitimiste, 13 %. Au troisième tour, Saunac est réélu avec 55 % des suffrages contre Magnin-Philippon.
On constate d’abord la faiblesse du légitimisme qui ne trouve guère de soutien que dans la noblesse et dans une fraction de la bourgeoisie « d’ancien régime » (propriétaires, hommes de loi... ). C’est un courant aristocratique, clérical, sans véritable base populaire et relativement modéré, contrairement à celui des villes du Midi (Chaper, qui a été préfet à Nîmes, a bien noté la différence). Depuis 1835, il n’a plus de journal.
Les conservateurs « ministériels », eux, sont influents dans la bourgeoisie censitaire de la propriété, de la fonction publique, des professions libérales et du négoce, elle- même unie par de multiples liens d’intérêts et de clientèle à bien des commerçants et des artisans enrichis, et à toute une partie des classes populaires. Saunac est régulièrement élu député depuis 1837 avec l’appui de la préfecture, qui a confié la mairie la même année à l’avouéVictor Dumay. Organe officieux du « parti », Le Journal de la Côte-d’Or fait l’éloge d’un régime qui assure la paix extérieure, l’ordre et la prospérité à l’intérieur, et ne manque pas de fustiger une opposition de gauche irresponsable.
Celle-ci a pour patriarche le riche propriétaire Étienne Hernoux maire de la ville aux Cent Jours et de 1830 à 1837, fils d’un député aux États généraux. Ses électeurs appartiennent à peu près aux mêmes groupes sociaux que ceux des conservateurs, mais sont animés d’une plus grande méfiance à l’égard des forces d’Ancien Régime et de l’Église, d’un vif « patriotisme » tricolore (la mission libératrice de la France en Europe...) et d’une certaine volonté d’ouverture démocratique. On passe ainsi par une transition insensible au «parti» républicain, qui a lui-même ses modérés (Magnin- Philippon, l’avocat Pierre Perrenet) et ses radicaux, anciens membres de la Société des Droits de l’Homme (les négociants James Demontry et Jules Carion), sans oublier, un peu à part, le petit groupe des phalanstériens (ils sont une trentaine, membres des professions libérales ou chefs d’entreprise comme le fabricant de tissus Luce-Villiard). Depuis 1839, la gauche a son journal, Le Courrier de la Côte-d’Or. Elle exerce une influence dominante sur la petite bourgeoisie, comme le montre la composition du
EUD Openbook
Tous droits réservés, utilisation dans un cadre scolaire et universitaire