Page 86 - Histoire de Chalon-sur-Saône
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Diables sur la ville
La population chalonnaise n’a pas vivement réagi à la vision tourmentée, angoissante, de la contre-réforme au début du siècle. Il y eut alors deux mentalités : celle, exaltée, des religieux et religieuses suivis de quelques prêtres et d’un groupe réduit de fidèles ; l’autre témoignant d’un esprit prosaïque et bourgeois. Le parallèle apparaît au récit de l’incendie des Cordeliers : raconté par un Minime ou un Jésuite, c’est un débat du ciel et de l’enfer où les démons cèdent finalement à l’intervention des reliques, des anges et de l’Eucharistie. Dans son journal intime, un bourgeois témoin oculaire décrit l’extension du sinistre qui s’apaise avec le vent : sa description naturaliste s’oppose en tout au lyrisme eschatologique des religieux.
Ainsi, par bonheur, les diables avaient peu à faire et Chalon n’a pas connu de sorciers ou de cas de possession, comme aux Ursulines d’Auxonne. Tout au plus, la ville paie un prêtre pour reconduire à ce couvent une religieuse en fuite.
Un autre fait divers touche le couvent des Carmes, jadis compromis dans les extrêmes. Il illustre bien l’imaginaire contemporain. En 1618, deux prêtres et trois Carmes reviennent du chapitre provincial de Besançon. Rejoints en rase campagne par l’orage, ils sont à pied, ils se réfugient sous un orme isolé, chaque prêtre entouré de religieux. La foudre tombe, ne tue que les religieux. Les prêtres affolés vont chercher du secours : au retour, à la place des religieux, on ne trouve que trois tas de cendre. Chacun vit là une punition céleste. Parmi les Carmes, était le prieur, très opposé à une réforme...
Des nombreuses œuvres d’art qui ont rempli les églises et les chapelles, il reste peu de chose. On voit à Saint-Pierre une Vierge terrassant le démon et quatre statues de bois au cloître Saint-Vincent : elles sont l’œuvre de Jacques Bezuillier, d’une famille de sculpteurs chalonnais. Au musée Denon et à Saint-Pierre restent des vestiges de grands ensembles sculptés par Dubois pour les grands monastères, Saint-Pierre, La Ferté, Maizières.
Les réformés
En regard, les réformés, dont le nombre ira décroissant, ne trouvent pas de lieu pour leur prêche : c’est à ces incessantes chicanes que se révèle la pression constante de la contre-réforme. Ce n’est pas une persécution, mais cela y ressemble fort... En 1600, Saint-Cosme leur est accordé, et presque aussitôt repris. Aux Eschavannes on autorise la construction d’un temple. Il est d’accès difficile, il leur faut acheter un sillon pour y arriver par une planche sur un fossé. En 1636, dès la menace d’invasion, les maisons des Eschavannes sont démolies, et bien sûr le temple. Il faut bâtir ailleurs. Le bois de la Brosse est défriché en vain. Il faut se rattacher à Perrigny (1677), à Buxy... Il n’est pas jusqu’à leur cimetière, d’abord à la Motte, qui ne soit déplacé dans les fossés derrière Saint-Georges, curieusement tout près du temple d’aujourd’hui.
Restent à Chalon quarante-deux familles réformées. Les principales sont les Girard, Vincenot, Janthial, Riboudeau, Plantamour, Bouvot, Cochon, Constant, Guide... Philibert Guide a illustré le début du siècle par ses poésies. Les Bouvot sont juristes, les Cochon maîtres peintres et
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