Page 87 - Histoire de Chalon-sur-Saône
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ÉCRIVAINS CHALONNAIS DU XVIIIE SIÈCLE
Si au XVIe siècle, la poésie brilla à Chalon d’un vif éclat, donnant à la province ses plus grands écrivains, c’est ailleurs en Bourgogne qu’il faut au XVIIe siècle chercher les noms célèbres : Bossuet, Lamonnoye et Mariotte à Dijon, Vauban à Saint-Léger, Bussy-Rabutin à Épiry. Cependant il y eut à Chalon quelques chroniqueurs fort estimables comme Claude Perry, L. Berthaud, l’auteur de L’illustre Orbandale, des théologiens, comme Jacques de Neuchèze (de la famille de Rabutin, donc parent de sainte Jeanne de Chantal, de Bussy et de Madame de Sévigné) et quelques savants. Il faut, parmi les chroniqueurs d’occasion, faire une place à Noé Lacroix.
NOÉ LACROIX
Comme l’écrivait Anatole de Charmasse dans les Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de 1891, “il n’était pas rare de rencontrer autrefois, au fond des provinces, des hommes de la plus modeste condition qui se plaisaient à écrire le récit de tout ce qui se passait sous leurs yeux”. C’est ainsi qu’à Chalon Noé (graphie ancienne de Noël) Lacroix a écrit son journal de 1610 à 1631.
Il se présente sobrement lui-même. D’une famille originaire de Seurre, il exerça le modeste office de sergent royal au bailliage. D’un second mariage, il eut huit enfants. Il habitait au bas de la Grande-Rue. Il fut reçu chevalier de l’Arquebuse en 1620. On ignore ce que fut sa fin, car son journal s’arrête brusquement en juillet 1631.
Les 51 pages de ce petit cahier sont riches de renseignements de toutes sortes : sur les évêques Cyrus de Tyard (neveu de Pontus) et Jacques de Neuchèze ; sur les maires, tel le célèbre Enoch Virey ; sur les gouverneurs (c’est ainsi que Noé Lacroix signale la jolie fête à laquelle donna lieu le baptême de Louis-Chalon du Bled, fils de Jacques du Bled d’Uxelles) ; sur les rois de France (Louis XIII s’arrêta deux fois à Chalon), les manifestations et les fêtes religieuses (comme le Saint Jubilé de 1628), les passages de troupes (il admire les 75 drapeaux de soldats embarqués en 1622 dans 80 bâtiments), les séjours des grands personnages (tels le duc d’Angoulême, Charles de Valois, fils de Charles IX, ou le prince de Condé, père du Grand Condé), les faits divers comme le châtiment d’un coupeur de bourse, l’entretien d’une rue (Noé Lacroix, comme les autres habitants, a participé pécuniairement au pavage), les inondations (qui, en novembre 1629, ont obligé de déloger les lépreux installés dans des “cadoles”), la peste (et les processions qu’elle provoque), les incendies (en 1627, la foudre met le feu au jeu de paume des Trois rois) et même les comètes (Noé Lacroix demande à Dieu protection contre “les présages mauvais d’icelles”).
Ce journal est donc très intéressant par toutes les précisions qu’il nous fournit dans une langue simple et attachante.
DES BARREAUX
Jacques Vallée, seigneur des Barreaux, n’est pas né à Chalon, mais à Châteauneuf-sur- Loire, en 1599. Il vécut surtout à Paris, mais, charmé par des vendanges en côte chalonnaise, il adopta notre ville où il décida de finir ses jours. On peut donc le considérer comme un Chalonnais.
Ce fut un poète libertin, disciple de Théophile de Viau. Avec ou sans lui, il fut le héros de plusieurs scandales et mérita d’être appelé “l’illustre débauché”. Sa vie fut marquée par sa passion pour Marion de l’Orme, à laquelle il consacra de nombreuses élégies. Il écrit dans l’une d’elles :
“Je la vis sans la voir, je l’ouis sans parole, Je la suis, je la tiens, son image s’envole”.
Rival heureux du cardinal de Richelieu qui tenta en vain de le soudoyer, il chante la fidélité de l’aimée :
“Sa bouche me l’a dit, cette bouche fidèle, Qu’elle mourrait plutôt que de m’être infidèle”.
Mais cette fidélité ne devait pas résister au charme de Cinq-Mars. Trois mois après la trahison de Marion, Des Barreaux, qui ne peut l’oublier, écrit une élégie de 62 alexandrins dont le premier vers (“Traîtresse, est-il donc vrai que ton âme perfide...”) a une belle allure racinienne. Dans un sonnet, il affirme qu’il ne lui reste plus “Que chercher du repos dans le sein de la mort”. Cette mort n’est pas une figure : il lui consacre plusieurs sonnets. Il écrit dans l’un d’eux : “Contre cet ennemy, je ne voy rien qui m’aide”. Le premier vers de
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