Page 272 - Histoire de Chalon-sur-Saône
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n’est pas nommé directeur ; ce sera son “disciple”, Michel Decrouy, qui depuis un an assurait la formation au sein de l’équipe. Antérieurement, il a dirigé la Maison des Jeunes de Laon et organisé divers stages dans le cadre de la coopération ou pour le ministère de l’Agriculture. Le spectacle d’ouverture est “Bleu, blanc rouge” de Roger Planchon.
C’est alors que la nombreuse équipe de la Maison de la Culture s’installe dans ses murs et... dans un état de crise permanent. Il faut convenir que le problème que Francis Jeanson a laissé à résoudre à Michel Decrouy est celui de la quadrature du cercle : puisque la philosophie de l’action culturelle est de privilégier l’animation, cela ne peut se faire, pour des raisons financières, qu’aux dépens de la création (de spectacles ou d’expositions) et de la diffusion. Cet état de choses génère beaucoup de mécontentements : les comédiens manquent de moyens et les Chalonnais souhaitent une programmation autre, plus variée. Quant aux animateurs, souvent associés à tout le personnel de la Maison (car chacun se doit d’être animateur), ils perdent une grande partie de leur temps et de leur énergie à tenter d’inventer une méthode de travail en commun, sans jamais y parvenir.
Ainsi éclate le conflit avec les comédiens à propos du spectacle “La vie en bleus”. En février 1972, J. Baillard, responsable de l’action théâtrale, juge très sévèrement le fonctionnement de la MC : “Aucun secteur ne travaille avec le minimum de liberté et de sérénité [...]. Il y a de graves erreurs de recrutement [...], des personnes ayant des buts différents, voire opposés, ou même sans qualification professionnelle”. Il évoque “la méthode patronale du Directeur, bien loin de la théorie de l’Action culturelle et du Dialogue” et dénonce les interventions intempestives de l’ “homme de Claouey”, alias Francis Jeanson. L’affaire se conclut avec la décision du directeur de mettre fin à la collaboration avec les comédiens. Ceux-ci fondent alors le “Théâtre de Saône-et-Loire”.
Peu d’associations chalonnaises et de comités d’entreprise acceptent de jouer le jeu de la concertation qui leur semble, à tort ou à raison, truqué. Et puis, le langage des uns et des autres n’est pas le même, leurs références sont différentes. Ainsi, on assiste à l’avachissement d’une grande idée. À beaucoup de Chalonnais, cette entreprise culturelle paraît confuse, politisée ou même superfétatoire. Michel Decrouy est épuisé par les luttes claniques incessantes (“le système de relations interpersonnelles est de plus en plus complexe et impossible à maîtriser”, écrit-il dans un rapport), et il démissionne le 15 septembre 1974.
Mais il serait injuste d’oublier le programme de cette période, qui fut loin d’être insignifiant, en dépit des conflits internes : le quatuor Bernède, le violoniste Krivine avec l’orchestre de Grenoble enchantent ; le conteur Jean Dasté, les chanteurs Marc Ogeret et Gilles Vigneault ravissent ; Bernard Haller et Raymond Devos amusent un large public ; le théâtre de Bourgogne étonne, voire choque avec d’étranges adaptations de Racine, Molière ou Vian ; Alain Touraine éclaire son auditoire sur le Chili ; Marc di Suvero plante dans Chalon ses sculptures monumentales, œuvres géniales pour les uns, assemblages de poutrelles pour les autres...
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