Page 180 - Histoire de Chalon-sur-Saône
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tenant compte des jeunes travailleurs habitant au foyer de leurs parents, et de la main-d’œuvre féminine, on atteindrait peut-être la moitié de la population ayant un emploi, soit près de 6 000 personnes. La majorité (3 500 au bas mot) travaille désormais dans de grandes entreprises. Par rapport à 1851, le changement est à la fois quantitatif et qualitatif.
La condition ouvrière reste difficile. Bien organisé dans les principales usines (Schneider, Pinette ou Aupècle), l’apprentissage est en déclin dans l’artisanat. La journée de travail est habituellement de douze heures dans la seconde moitié du XIXe siècle, de dix heures encore et parfois davantage au début du XXe ; jusqu’en 1906, les travailleurs de certaines entreprises sont requis à tour de rôle le dimanche matin. Les accidents sont fréquents, surtout dans les ateliers de constructions mécaniques, et la loi de 1898, bien accueillie par les ouvriers, est dénoncée comme une source d’abus par une partie du patronat dont elle pose en principe la responsabilité. L’inspection du travail est peu efficace avant 1903, son ressort s’étendant à deux départements. Les salaires nominaux, à peu près stagnants sous le second Empire entre 2 et 4 F, s’élèvent lentement par la suite pour atteindre 3 à 5 F à la veille de la Grande Guerre (mais 1,50 à 2 F seulement pour les femmes) : l’amélioration du pouvoir d’achat se trouve alors compromise par la hausse des prix (notamment celle des loyers). Les logements sont trop exigus (la plupart des familles doivent se contenter d’une ou deux pièces) et souvent insalubres dans la vieille ville : aussi certains préfèrent-ils s’installer dans les villages de banlieue, où la Société d’horticulture encourage la multiplication des jardins qui doivent procurer aux ouvriers des loisirs sains et un complément de ressources. Le chômage saisonnier dans certaines professions réduit dangereusement les revenus des ménages : chaque hiver, la municipalité doit organiser des « bouillons économiques » et distribuer des bons d’alimentation. Faute d’un système d’assurances, ceux qui n’appartiennent pas à des sociétés de secours mutuels (elles existent surtout dans les métiers artisanaux, et aussi aux ateliers Pinette) risquent toujours de tomber dans l’indigence en cas de maladie ou quand la vieillesse les contraint à l’inactivité. Les successions non imposables (60 % de l’ensemble) sont dans leur immense majorité celles d’ouvriers ou d’ouvrières.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les grèves sont très rares et le mouvement syndical demeure embryonnaire. Quelques coalitions ont marqué la fin du second Empire : en mai 1870, celle des typographes du Courrier de Saône-et- Loire, soutenus par leurs collègues lyonnais, est mise en échec et réprimée par le directeur Sordet ; celle des maçons et des charpentiers, en juin, leur permet d’obtenir de meilleurs salaires (4,20 F au lieu de 3,75 F). C’est dans les années 1880 qu’apparaissent les premiers syndicats. Une Bourse du travail est fondée en 1893. Sept ans plus tard, les métallurgistes de Chalon prennent part au grand mouvement social qui a fait de la Saône-et-Loire, de 1899 à 1901, le principal foyer de l’agitation ouvrière en France. Le 25 avril 1900, les 200 travailleurs de l’usine de constructions mécaniques Galland, à Saint-Cosme, se mettent en grève pour exiger en particulier le renvoi d’un contremaître exceptionnellement brutal. La direction réplique par le lock- out et refuse, trente-cinq jours durant, toute conciliation. Le 30 mai, la grève s’étend au Petit Creusot ; le même jour, un cortège de métallurgistes envahit l’usine Pinette, et parvient à y faire cesser le travail. Tandis que la solidarité
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