Page 202 - Revolutions et Republiques - la France contemporaine
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(aux Congrès de Rome, Paris, Lyon et Grenoble) une motion – régulièrement repoussée – pour l’exclusion des francs-maçons des congrès de la Libre Pensée1.
On aboutit dans certains cas à une subordination de la Libre Pensée à la S.F.I.O. : le congrès de 1911 de la Fédération du Nord et du Pas-de-Calais vote à l’unanimité moins deux voix et une abstention (celle de Roger Salengro, du groupe de Lomme- Lambersart) une motion affirmant « que les organisations de Libre Pensée sont le corollaire des organisations de classe du prolétariat luttant sur le terrain politique et économique, puisqu’elles travaillent à son émancipation intellectuelle, comme syndicats et parti socialiste travaillent à son émancipation matérielle ». En principe, les trois groupements sont placés sur un pied d’égalité ; en fait, il est évident que suivant la doctrine guesdiste, le rôle dirigeant ne peut appartenir qu’au Parti. On voit même la Libre Pensée socialiste de Dijon s’affilier à la Fédération S.F.I.O., et celle de Lillers (Nord) cotiser au parti socialiste2. Il faut noter toutefois que, comme pour les syndicats, cette subordination, là où elle s’est manifestée (et il s’agit tout de même d’exceptions) n’a jamais été complète. En 1910, les libres penseurs du Nord et du Pas-de-Calais soulignent avec une certaine aigreur qu’ils n’ont pas rencontré auprès du groupe parlementaire S.F.I.O. le concours attendu pour faire aboutir leurs revendications anticléricales : « Dorénavant, citoyens libres penseurs, nous n’aurons plus à compter que sur nous-mêmes »3. La même année, l’orateur des « Droits de ]’Homme » de Lille s’inquiète des débats qui ont eu lieu récemment dans la presse sur la possibilité pour un prêtre d’adhérer au parti socialiste, et de la réponse positive qu’auraient donnée à cette question plusieurs membres du Comité fédéral socialiste du Nord : « Nous disons qu’un individu chez lequel subsistent encore des traces d’esprit religieux et qui les manifeste ne peut être socialiste ». Le socialisme « n’a d’autre moyen, en régime capitaliste, que la violence », absolument incompatible avec « la douce résignation conseillée aux déshérités ». Le socialisme vise à réaliser le bonheur sur terre, incompatible « avec la fin promise aux hommes par les religions. Celui qui croit que le monde est l’œuvre d’un créateur ne fera rien contre l’injustice d’une classe, il s’en remettra à la grâce de Dieu » ou n’agira qu’occasionnellement, mû par la colère, sans perspectives et sans persévérance, « en inconscient »4. En 1911, le même groupe de Lille (partisan, par ailleurs, d’une coopération étroite entre Libre Pensée et S.F.I.O. puisqu’il « ne voudrait voir à la Commission administrative que des membres du parti socialiste ») se plaint amèrement « que les socialistes se désintéressent pour la plupart des groupements de Libre Pensée. À Aniche où le socialisme est florissant, le groupe antireligieux n’a qu’une vie ralentie. Bien plus, il est au parti une fraction qui ne cesse de critiquer les organisations de Libre Pensée, poussant le paradoxe jusqu’à prétendre qu’elles nuisent à l’action socialiste »5. On saisit ici, dans cette organisation purement ouvrière qu’est la Fédération du Nord et du Pas-de-Calais, le germe d’un conflit entre des militants qui,
1. Congrès départemental de la Drôme, 1908, p. 19. 2. Congrès de 1911, p. 4.
3. Congrès de 1910, p. 4.
4. Ibid., p. 7 à 9.
5. Congrès de 1911, p. 13.
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