Page 200 - Revolutions et Republiques - la France contemporaine
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Ce glissement à gauche de l’Internationale des libres penseurs se confirme l’année suivante au Congrès de Paris, où une longue discussion met aux prises Ferdinand Buisson et les orateurs anarchistes ou socialistes révolutionnaires. Le Congrès se montre à peu près unanimement favorable à l’adhésion des libres penseurs aux sociétés pacifistes, à l’enseignement du pacifisme dans les écoles, an désarmement général, à l’arbitrage international imposé, le cas échéant, par des manifestations de masse. Sans doute, il se refuse à suivre Sébastien Faure prêchant le désarmement unilatéral, Hervé demandant que tous les libres penseurs, de retour dans leur pays, proclament qu’en cas de guerre, ils ne marcheront pas ; Libertad surenchérissant et proposant la grève militaire immédiate (« Ne soyez plus soldats !... Cessez de payer l’impôt ! ... »). Il vote la motion Buisson affirmant que « le Congrès, tout en adoptant la devise « Guerre à la guerre ! », n’entend pas autoriser les appels individuels à la désertion ». Cependant, Ferdinand Buisson lui-même, s’il n’admet pas qu’on conseille aux jeunes soldats le refus de servir et la désertion en temps de paix, accepte « la grève internationale, simultanée et collective, du prolétariat tout entier contre la guerre déchaînée par des gouvernements quelconques ». Et le Congrès adopte la motion de Gustave Hervé mettant au programme des prochaines assises internationales la question de l’action de la Libre Pensée en cas de guerre1. Devenue socialiste, la Libre Pensée se fait également pacifiste : la paix cesse pour elle d’être le résultat lointain de la lutte contre l’obscurantisme pour devenir une préoccupation immédiate, un objectif pour lequel il faudra lutter aux côtés de l’Internationale socialiste.
Encouragée par les résultats obtenus aux Congrès de Rome et de Paris, aiguillonnée par l’enlisement progressif du radicalisme après la Séparation, l’offensive socialiste bat son plein, dans les années qui suivent, au sein des organisations de base. On dénonce volontiers maintenant, dans les congrès, les atermoiements radicaux : « Où est-il, maintenant, le parti radical-socialiste ? » interroge le secrétaire général Henri Moussu après le congrès de 1910 de la Libre Pensée de Saône-et-Loire. « Lui qui, dans son ensemble, prétend constituer la majorité dans le pays et dans le Parlement, par qui a-t- il laissé prendre le pouvoir ? Il rejette ce qu’il appelle l’Utopie, mais, à l’heure des inévitables et vastes conflits entre le Capital et le Travail, quels remèdes apporte-t-il ? » Reprenant le texte de Rome, ce même congrès constate qu’ « après avoir aidé le pouvoir politique à faire la Séparation », la Libre Pensée est logiquement conduite « à élargir singulièrement le cercle de pure philosophie qu’on lui avait tout d’abord assigné, non sans quelque puérilité... ; elle ne saurait s’arrêter, hésitante, s’il lui faut, dans la poursuite de son but, renverser les barrières du conservatisme social ». Le commentaire d’Henri Moussu est plus brutal : « Faire la guerre aux gens de la calotte, c’est bien. Mais il y a les gens du coffre-fort... Leur ralliement s’opère en dépit des différences de philosophies et de confessions... Nous devons donc combattre les uns et les autres... »2. Tel est aussi, deux mois plus tard, le point de vue de la Fédération de la Côte-d’Or : « pour que l’émancipation morale des citoyens soit complète et ne subisse aucune
1. Congrès international de Paris. Compte rendu officiel, séance du jeudi 7 septembre, p. 148 à 177.
2. Congrès de la Fédération départementale des Sociétés de Libre Pensée de Saône-et-Loire. Chalon-sur-Saône, 20 mars 1910. B.N. : 8° Lb 57 15.193.
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