Page 161 - Revolutions et Republiques - la France contemporaine
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Assemblée nationale monarchiste, l’insurrection est justifiée pour sauver une République dont l’existence est « au-dessus du droit des majorités ».
Sur ce point, ils se rapprochent du blanquisme, courant lui aussi déjà ancien, puisqu’Auguste Blanqui a milité ardemment et connu de longues années de prison politique sous la monarchie de Juillet et la deuxième République. À la fin du second Empire, ses partisans sont organisés pour l’action clandestine et l’insurrection armée en petits groupes commandés par des dizainiers et des centurions : au total, moins d’un millier d’hommes, en partie armés, concentrés à Paris, recrutés parmi les ouvriers (le fondeur en fer Émile Duval, le peintre décorateur Gabriel Ranvier), les étudiants ou les intellectuels (Gustave Tridon, Ernest Granger, Raoul Rigaults, Émile Eudes, Édouard Vaillant). Blanqui a rédigé pour eux son Instruction pour une prise d’armes. Il a en effet défini une stratégie. Il est convaincu de l’inefficacité de l’action électorale (le peuple est aliéné par la religion et l’ignorance) comme du mouvement coopératif mutualiste (inoffensif pour le pouvoir en place). Il se refuse à élaborer des plans pour la reconstruction sociale, préfigurant l’avenir socialiste qui est le but lointain. La révolution ne peut s’accomplir que par l’insurrection, où les groupes organisés entraînent le « peuple de Paris », et par l’instauration d’une dictature s’appuyant sur les travailleurs en armes. Pas d’élections immédiates : il faut, préalablement, briser les instruments d’oppression (armée, police, magistrature, Église) et surtout instruire le peuple, œuvre de longue haleine (« L’armée, la magistrature, le christianisme, l’organisation politique, simples haies. L’ignorance, bastion formidable. Un jour pour la haie ; pour le bastion, vingt ans »). C’est progressivement que l’on pourra alors concevoir et réaliser l’ordre nouveau, fondé sur la communauté des biens (en partie préparée par des confiscations révolutionnaires) et sur l’association des producteurs. Les blanquistes diffèrent aussi des jacobins par leurs convictions idéologiques (matérialisme et athéisme contre déisme) et leurs références historiques (Hébert et la Commune révolutionnaire contre Robespierre ; Gustave Tridon a publié en 1864 une brochure, Les hébertistes, plainte contre une calomnie de l’histoire). Pendant le siège, ils se montrent partisans de la défense « à outrance », rapidement très critiques à l’égard du gouvernement de la Défense nationale, très actifs dans les clubs, et sont au premier rang dans les mouvements du 31 octobre et du 22 janvier. Certains d’entre aux militent dans les sections de l’Association internationale des travailleurs (AIT).
Le développement de celle-ci a accompagné, non sans vicissitudes, celui du mouvement ouvrier à la fin du second Empire. C’est l’époque où s’exerce fortement l’influence de Proudhon, décédé en 1865 et dont le dernier ouvrage, De la capacité politique des classes ouvrières, est publié la même année. Pour lui, la révolution politique, ayant pour but de changer le gouvernement, n’est qu’un leurre ; les classes ouvrières doivent agir pour leur propre compte, en s’engageant dans la voie d’une révolution sociale progressive, grâce à la mise en place d’associations fédérées, fonctionnant sur la base du mutuellisme dans le domaine du crédit, des assurances, de la production et de la consommation. Grâce à leur multiplication et aux contrats librement conclus entre elles, « l’atelier remplacera le gouvernement », l’État se résorbera dans la société, on parviendra à l’anarchie, « véritable formule de la République ». Cet apolitisme peut se
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