Page 148 - Histoire de Chalon-sur-Saône
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JACQUES MATHIAS, UN AVOCAT CHALONNAIS PENDANT LA RÉVOLUTION
Le nom de Mathias est fort connu à Chalon – l’avenue, la place, le lycée – mais on en ignore souvent l’origine. C’est en 1878 que le Conseil municipal attribue à l’ancienne « levée de la prairie » le nom d’avenue Mathias. En 1885, sur le plan cadastral, la place Mathias est indiquée et en 1967, le nouveau lycée, qu’on n’a pas eu le temps de baptiser, prend très vite le nom de lycée Mathias puisqu’il ouvre sur la place homonyme.
La décision de la Municipalité, en date du 19 juillet 1878, est ainsi inscrite sur le registre des délibérations : « Avenue Mathias : en l’honneur de Jean-Jacques Mathias, Conseiller à la Cour d’Appel de Paris (qui) a fait don de sa bibliothèque au Barreau de la Ville de Chalon où il est né et d’une rente annuelle de 75 F destinée à acheter des Prix aux élèves du Collège. » Jean-Jacques Mathias, né le 25 octobre 1776 à Chalon, quittait Chalon à l’âge de 14 ans pour habiter Paris avec sa famille.
Quant à son père, Jacques Mathias, il joua à Chalon, au début de la Révolution, un rôle important que nous allons évoquer succinctement. En 1789, il a 37 ans. Avocat à Chalon, premier échevin, il participe à la rédaction des cahiers du Tiers-État. Le maire en place, Brunet de Maison Rouge, en désaccord avec l’évolution politique, démissionne en septembre. Mathias s’engage alors pour éviter la rupture entre la tendance gestionnaire et la tendance révolutionnaire. Comme il est respecté de tous, il est nommé « Chef de la Municipalité ». Très actif et conscient des enjeux, il saura par son sang-froid éviter un affrontement des gardes nationaux de Chalon et de l’armée royale.
Nous sommes le 4 décembre 1789 ; deux escadrons sont annoncés, l’un venant de Mâcon, l’autre de Bourg, du régiment de Monsieur, ainsi que son État-Major. À Chalon, on est inquiet et la Municipalité décide d’intervenir :
Ces nouveaux escadrons exposeraient la ville de Chalon à une surcharge qu’elle n’a point méritée [...] il n’y a point de caserne en cette ville [...] la majeure partie des habitants n’est point en état de partager son domicile [...] Les députés MM. Mathias, Niepce et Boisson se rendront à Mâcon et à Bourg pour informer les autorités militaires de ce problème [...]1
Le surlendemain, nos députés rendent compte de leur mission : leur intervention fut sans résultat, d’autant que l’escadron de Mâcon était déjà en route. D’autre part, les commandants ont un ordre du Roi et ne pourraient l’enfreindre. Nouvelle effervescence à Chalon : les gardes nationaux et les habitants armés exigent que, pour le moins, les militaires arborent la cocarde tricolore. Mathias ira à leur rencontre à la porte de Saint- Jean-de-Maizel et leur demandera cette concession « indispensable pour assurer la tranquillité publique ».
À une heure et demie de l’après-midi, Mathias, qui est allé au-devant de la troupe, rencontre son commandant, le baron de Malvoisin, à trois quarts de lieue de la ville (à Lux ?). La proposition est acceptée. Effectivement, lorsque les militaires arrivent devant la porte de Saint-Jean-de-Maizel où les attendent les gardes nationaux et nombre d’habitants, « le baron attache la cocarde sur son casque, aux grandes acclamations de tous les citoyens. » Le peuple et son armée fraternisent. On crie : « Vive la Nation ! Vive le Roi ! Vive Monsieur ! » Entre temps, la Municipalité a reçu un émissaire du baron qui a promis que les militaires feraient des efforts pour se rendre utiles. En conséquence, elle a décidé de faire son devoir mais elle compte aussi sur les réponses favorables à ses demandes pressantes de ne pas laisser supporter trop longtemps cette charge à la ville. Ainsi, grâce aux concessions réciproques, la ville de Chalon ne sera pas exposée « à être placée au rang des villes rebelles et insubordonnées et à se rendre indigne de la Bienveillance dont l’Assemblée nationale paraît avoir l’intention de l’honorer. »
Dès le lendemain, Mathias rédige deux autres lettres au Ministre de la Guerre et à l’Intendant de Bourgogne pour rendre compte de la soumission des habitants de Chalon mais aussi pour rappeler la réclamation chalonnaise : le retrait des troupes dont la présence est peu utile.
Mathias organisera ensuite les élections municipales de janvier 1790. Lui-même est élu procureur-syndic du District mais il ne tarde pas à quitter Chalon pour Paris où un procès le retient longtemps. Finalement, il s’installe dans la capitale. En 1797, il est avocat du tribunal de Cassation. En 1806, il démissionne de ce poste pour permettre à son fils de lui succéder et il se retire au 75 de la vieille rue du Temple.
(1) Registre des délibérations du Conseil municipal (Bibliothèque municipale).
Gérard Delannoy
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